vendredi 4 novembre 2016

Pour Laurence Rocher




Eh bien, tous ces marins- matelots, capitaines,

Dans leur grand Océan à jamais engloutis…

Partis insoucieux pour leurs courses lointaines,

Sont morts- absolument comme ils étaient partis.

 

Allons ! c’est leur métier ; ils sont morts dans leurs bottes !

Leur boujaron au cœur, tout vifs dans leurs capotes…

- Morts… Merci : la Camarde a pas le pied marin ;

 

- Eux, allons donc : Entiers ! enlevés par la lame,

Ou perdus dans un grain…

 

Un grain… est-ce la mort, ça ? La basse voilure

Battant à travers l’eau ! Ca se dit encombrer

Un coup de mer plombé, puis la haute mâture

Fouettant les flots ras- et ça se dit sombrer.

 

- Sombrer. Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle…

- Et pas grand chose à bord, sous la lourde rafale…

Pas grand chose devant le grand sourire amer

Du matelot qui lutte. – Allons donc, de la place ! –

Vieux fantôme éventé, la Mort change de face :

La Mer ! …

 

Noyés ?- Eh ! allons donc ! les noyés sont d’eau douce !

- Coulés ! corps et biens ! Et jusqu’au petit mousse,

Le défi dans les yeux, dans les dents le juron !

A l’écume crachant une chique râlée,

Buvant sans haut-le-cœur la grand’tasse salée

- Comme ils ont bu leur boujaron,-

 

Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière :

Eux, ils vont aux requins ! L’âme d’un matelot,

Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,

Respire à chaque flot.

 

- Ecoutez, écoutez la tourmente qui beugle !…

C’est leur anniversaire. – Il revient bien souvent. –

O poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle ;

- Eux : le De Profundis que vous corne le vent.

 

- Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges !…

Qu’ils roulent verts et nus,

Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges…

- Laissez-les donc rouler, terriers parvenus !

Tristan Corbière    La Fin 

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