mercredi 21 septembre 2016

Pour Roland Lefèbvre



C'est à nous! Tant d'impatience,
Tant de poings rongés en silence
Ont enfin fait venir ce jour.
Nos rêves d'enfants se dissipent.
Nous avons acheté des pipes
Et brûlé nos lettres d'amour.
C'est notre tour. Nous allons être
Plus grands encor que les vieux maîtres,
Ces hussards et ces grenadiers
Que nous avons vus à l'école
Balayer de leurs charges folles
Nos couvertures de cahier.
Sans doute, au milieu des batailles,
Nos vingt ans n'auront pas leur taille
Nos uniformes n'ont point d'or
Mais moins d'allure et de panache
Ne fait pas, même sans moustache,
Qu'on ne soit des poilus encor.

Nous ne nous payons pas de mots.
Nous ne serons pas des héros
Pour qu'on le sache, ni sublimes
Pour qu'on le dise. On est Français:
On a sa vie, on l'offre, et c'est
L'humble obole d'un anonyme.
Penser à soi, se hausser?... Non.
France, Allemagne: ces deux noms
Nous ont fait oublier le nôtre.
Nous avons simplement choisi,
Comme destin, d'être un fusil
Au milieu de trois millions d'autres.»
Il fut de tels vaincus, jadis,
Dans les luttes d'un contre dix,
Que leur gloire reste immortelle.
Mais nous estimons qu'à présent,
Ne serait-on qu'un contre cent,
La défaite n'est jamais belle.


Nous voulons être les plus forts.
Nous méprisons bien trop la mort
Pour lui faire des politesses.
Froids et lucides avec soin.
Plus prudents pour aller plus loin,
Nous materons notre jeunesse…
***
Et vous, mères, que nous, laissons,
Montrez devant vos grands garçons
Des yeux secs et des cœurs farouches.
Il vous reste encore un devoir: Honorez-nous d'un «au revoir» .
Qui ne tremble pas sur vos bouches.
Adieu. Ne tendez pas les bras.
Nous ne nous retournerons pas.
C'est en avant qu'on nous appelle.
Nous avons hâte de savoir.
Dans du silence et dans du noir,
A quoi rêvent les sentinelles.
Et puisque nos capotes ont
Le bleu léger des horizons,
Si jamais du sang les colore,
Ne pleurez pas: nous sommes sûrs
Que ce sang clair sur cet azur
Aura les rougeurs d'une aurore.


  Paul Géraldy

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